Avec sa nouvelle marque territoriale ProDij, Dijon Métropole plante la graine d’une ambitieuse transition alimentaire à l’horizon 2030. En mobilisant de nombreux partenaires publics et privés, la collectivité veut devenir un modèle de production agro-écologique à haute performance environnementale. Décryptage par le menu.

Lundi 11 juillet 2022. Dans les locaux de la Cité de la Gastronomie, Dijon Métropole présente les grandes lignes de son objectif « Alimentation durable 2030 », en présence d’acteurs et partenaires de toute nature. ProDij, la marque territoriale spécialement dévoilée pour l’occasion, constitue une étape supplémentaire dans cette course de fonds vers l’exemplarité agroalimentaire.

« En la matière, nous ne pouvons pas être des déclinistes », pose François Rebsamen, prenant à témoin une Cité de la Gastronomie qui pousse à l’exemplarité. Le président de Dijon Métropole, tout en évacuant le fantasme de l’autosuffisance alimentaire irréalisable dans un bassin de 260 000 consommateurs en puissance, mise avant tout sur un modèle pérenne d’approvisionnement local. « ProDij sera un démonstrateur, qui donnera des éléments de réplication à l’échelle européenne. » Et de prendre pour exemple OnDijon, modèle de gestion intelligente et numérique de la ville, ayant reçu les visites de Barcelone, Singapour, Sidney… « Des villes dont Dijon ne représente qu’un quartier, mais qui ont besoin d’exemples. » Et d’enfoncer le clou : « La commission européenne venue sur place n’avait jamais vu en France une métropole avec un projet aussi structuré. » À bien des égards, les voyants sont donc au vert.

ProDij en chiffres
150
 organismes impliqués
384 000 citoyens-consommateurs concernés
9 000 emplois soit 30% des emplois industriels de la métropole
700 jeunes formés chaque année
3 000 chercheurs, enseignants-chercheurs et doctorants
45% du territoire en zones agricoles
25% des exploitations certifiées bio
600 hectares dédiés ou à dédier à la viticulture (dont 247 à Marsannay-la-Côte)
13 AOC et 3 IGP identifiées dont les AOC viticoles Marsannay et Bourgogne, les appellations et IG Moutarde de Bourgogne, crème de cassis de Dijon, Volailles de Bourgogne…
8 entreprises labellisées Entreprise du patrimoine vivant (EPV) : Gabriel Boudier, Lejay Lagoute, Mulot & Petitjean, Dufoux, Cristel, Lacanche, Edmond Fallot, Anis de Flavigny.

Solide maillage d’experts

Car la métropole dijonnaise a des garanties solides. Depuis 2019, l’État l’a sacrée « Territoire d’Innovation » et l’accompagne financièrement dans cette quête du « mieux manger » et du « mieux produire ». En soulevant le couvercle de cette grande marmite, les élus dijonnais ont découvert un chantier qui recoupe toutes les problématiques de la vie d’une collectivité. « Quand j’ai été élu maire il y a vingt ans, je ne pensais pas devenir un fermier, s’étonne encore François Rebsamen. Le foncier, par exemple, est devenu un élément prioritaire. » Cette stratégie de reconquête des terres agricoles, initiée en 2013 avec le domaine viticole de La Cras, se solde aujourd’hui par 200 hectares en propriété.

Dans le même temps, l’agroalimentaire demeure un secteur d’excellence, qui concerne 9 000 emplois locaux, soit 30 % des emplois industriels de la métropole. Une filière conquérante, très ouverte aux jeunes talents, capable de capter l’innovation y compris à l’international. Vitagora est le catalyseur historique de toutes ces énergies. Depuis 2005, le pôle de compétitivité « Goût-Nutrition-Santé » de Bourgogne-Franche-Comté « rend l’innovation utile à l’alimentation ». De nombreuses startups ont pu émerger grâce à son dispositif ToasterLab, récemment recentré sur l’alimentaire.

L’Inrae, les différentes unités de l’université de Bourgogne, l’école d’ingénieurs AgroSup et bien d’autres experts complètent ce solide maillage. Sophie Nicklaus, directrice de recherche de l’Inrae et responsable scientifique de ProDij, ne peut que louer cette force de frappe : « S’il pouvait ressembler à un ovni au départ, ProDij, par le nombre et la qualité des acteurs locaux engagés, va dans le sens de la transition dont nous avons besoin. Notre expertise scientifique est entièrement au service de l’action publique. »

Agro-écologie expérimentale

Le cas particulier d’Agronov est riche d’enseignements. Installé à Bretenière, ce domaine expérimental, le premier du genre en France, vise à « créer une agora où échanger et faire se rencontrer les mondes de la recherche, des entreprises et des start-ups ». Placé sous l’expertise de l’Inrae, en lien avec Dijon Métropole, il couvre 140 hectares et concentre tout particulièrement son action sur les très prometteuses légumineuses (lire encadré page suivante). Tout, sur place, est cultivé de façon collaborative, sur le mode de l’agro-écologie dont sans aucun pesticide.

Philippe Lemanceau est partisan de ce genre d’expérimentation grandeur nature. « Ce n’est pas le tout de vouloir du bio pour faire joli : il faut créer des lieux, favoriser les installations, concerner le citoyen dès le plus jeune âge », martèle le vice-président de Dijon Métropole en charge de la transition alimentaire.

Bientôt une légumerie métropolitaine
Au printemps 2023, sur la ZAE Beauregard à Longvic, une légumerie métropolitaine alimentera les écoles primaires et maternelles dijonnaises (soit 8 000 repas quotidiens) ainsi que les épiceries solidaires. Elle permettra « d’assurer un approvisionnement en fruits et légumes de qualité issus des circuits courts et garantira aux producteurs du territoire un débouché local avec une juste rétribution ». Concrètement, cet équipement réceptionnera les légumes de la région, les préparera puis les expédiera vers les cuisines centrales (en particulier celle de Dijon). La légumerie sera dimensionnée dans un premier temps pour recevoir 200 à 400 tonnes de légumes par an, et pourra être agrandie jusqu’à atteindre une capacité de 2 000 tonnes annuelles. Son exploitation sera confiée à une société coopérative. L’investissement, évalué à 2,5 M€, est soutenu par l’État  à hauteur de 300 000 € (plan de relance), et par la Région Bourgogne-Franche-Comté (400 000 €).

Signe de cette stratégie maraîchère, une légumerie poussera bientôt sur le sol métropolitain. Depuis Longvic, elle approvisionnera la cuisine centrale dijonnaise en produit ultra frais (lire encadré) et donnera du poids à une agriculture urbaine complémentaire des légumiers de plein champ. Invité à la table ronde métropolitaine du 11 juillet, Mathieu Lotz milite pour cet équilibre de production. Le jeune agriculteur sort de son Potager des Ducs, situé au sud de la ville, 12 à 13 tonnes de légumes chaque année. De belles variétés anciennes, à forte valeurs nutritionnelle et gustative, « récoltées à 6h et placées sur la table des chefs à 11h ». Plus court, y’a pas !

Pédagogie et inclusion

Ce genre de ferme en ville peut accueillir un jeune public à des fins pédagogiques, ou bien mener des expérimentations en lien avec ProDij. « Cela fait plusieurs années que je fais du gingembre frais et je m’essaye aux agrumes », développe l’intéressé, qui peut compter sur des chefs cuisiniers totalement partenaires de la démarche. C’est le cas d’Angelo Ferrigno, qui trouve pour son restaurant étoilé Cibo tous ses produits à moins de 2h de route. « De la contrainte nait une formidable opportunité. »

Tous ces petits exemples, mis bout à bout, rejoignent l’idée d’une transition locavore, qui concernerait tout le monde. Cela passe par une éducation au goût, que des initiatives comme Chouette Cantine nourrissent au quotidien. Sophie Nicklaus supervise ce programme : « Parler de ce qu’on mange est un sport national. Le goût doit demeurer le critère le plus important et cela commence en milieu scolaire. » Il en va de même pour les publics fragilisés, menacés par une précarité alimentaire. Patricia Aguera, directrice de l’épicerie sociale et solidaire Epi’sourire, milite pour que l’assiette soit source de santé et de plaisir. « Être Territoire d’Innovation a permis d’obtenir des fonds pour nos actions », apprécie l’intéressée. C’est aussi la raison d’être de ProDij : que tout le monde puisse en récolter les fruits.

Dijon, capitale mondiale des légumineuses ?
La métropole dijonnaise les considère comme « l’avenir de l’alimentation ». Les légumineuses arrivent en force dans notre alimentation du quotidien. Lundi 12 juillet, dans le cadre de la journée de lancement de ProDij, le chef Angelo Ferrigno animait une masterclass dans la Cuisine expérientielle de la Cité de la Gastronomie autour d’une recette de lentilles beluga, œuf de caille poché et crème infusée au lard, pour sensibiliser aux vertus de ces protéines. Dijon en est même devenue une grande spécialiste, via les labos de l’Inrae. Sa présidente Nathalie Munier-Jolain n’y va pas par quatre chemins. « Nous avons l’une des plus belles collections de légumineuses au monde : lentilles, luzerne, pois, féverolles, fèves, lupins… Ces plantes, dont les graines sont très riches en protéines végétales, présentent l’avantage de réduire la consommation de graisses saturées et d’augmenter celle des fibres. Elles utilisent l’azote de l’air, ce qui évite l’apport d’engrais. » Ces ressources génétiques, riches de 15 000 variétés, sont constituées depuis quinze ans au sein de l’UMR agroécologie. À Dijon, plusieurs projets industriels d’envergure concernent les légumineuses :

• Dijon Céréales : la coopérative agricole possède une usine de protéines végétales, qui pourra produire des tourteaux de soja locaux garantis non OGM, destinés aux éleveurs des filières d’appellation d’origine et aux transformateurs. C’est le premier site français à produire ce type de tourteau. Dijon Céréales et ses partenaires prévoient la mise en service de deux autres unités en France, ce qui évitera l’importation de tourteaux brésiliens ou indiens.

• Kûra : Cette entreprise spécialisée dans les produits japonais frais (sakés, bières, miso…) travaille à partir de riz bio ou de soja bio d’origine européenne, selon le procédé traditionnel du kôji, ferment riche en enzymes présent dans les légumineuses. Kûra a étendu sa gamme de produits aux sauces soja bio shoyou (soja et blé) et tamari (sans gluten) afin de répondre aux attentes du marché. Ces nouveaux produits sont créés à partir de soja français bio sans OGM et sont non pasteurisés, conservant ainsi leurs qualités nutritionnelles. Kûra est le seul acteur industriel européen proposant ces condiments. Le projet permet l’émergence d’une filière locale complète des condiments soja, du champ à l’assiette.

• Buffon & Co : Il se définit comme un « pure player du sarrasin » en élaborant uniquement des produits (pavé végétal, pâtes, crackers, sablés, crêpes…) à partir de cette plante qui présente de nombreux avantages agroécologiques car elle est économe en intrants (engrais, pesticide, eau) et est favorable à la fertilité des sols.