Après le tramway il y a 10 ans, l’avènement de la Cité de la Gastronomie est le nouvel épisode d’une grande restructuration métropolitaine. La société se « monoparentalise » et exige le « zéro artificialisation », mais Dijon grossit et s’adapte malgré tout. La partition est fine. Dijon Capitale a donc demandé au chef d’orchestre de l’urbanisme dijonnais Pierre Pribetich de nous en livrer son interprétation.

La multiplication des grues fait grimper les commentaires. Sommes-nous dans une course effrénée de la construction ? Cela n’aurait-il pas d’autre but que d’occuper le secteur BTP qui reste, quoiqu’on en dise (le fameux « quand le bâtiment va… » !), le baromètre de la santé économique d’un pays ? Dans le même temps, l’avènement de la Cité de la Gastronomie et du Vin est annonciateur d’un déplacement des flux à l’entrée sud de Dijon. Ce grand chantier en mouvement permanent nourrit la conversation de bistrot, sans y apporter souvent des réponses. Alors, autant voir à la source…

« Des grues, il n’y en a pas encore assez »

S’il est une personne qui, à l’échelle de la métropole dijonnaise, connaît le sujet, c’est bien Pierre Pribetich. Socialiste de la première heure, toujours fidèle au poste, ce professeur des universités, grand spécialiste des ondes électromagnétiques (sociétaire à ce titre de l’académie d’électromagnétisme du MIT de Boston), s’intéresse aux ondes politiques. Il est, depuis plus de vingt ans maintenant, auprès de François Rebsamen, l’homme de l’art pour tout ce qui touche à l’urbanisme et à l’habitat au sein de l’assemblée métropolitaine, dont il est le premier vice-président.

« Des grues, justement, il y en n’a pas encore assez », rectifie sans détour l’intéressé, soulignant que dans le contexte « d’une ville qui a grossi en de 10 000 habitants en 20 ans pour atteindre 160 000 habitants intra-muros, mais aussi du desserrement des ménages qui caractérise notre société, il faudrait tenir le rythme annuel de 400 à 500 logements pour maintenir cette population. » La barre est haute. Elle résulte en premier lieu de l’explosion de la monoparentalité. Dans les années 60, un logement accueillait en moyenne trois personnes. Aujourd’hui, c’est deux fois moins.

Zéro artificialisation

La contrainte conjoncturelle alimente ainsi le défi du logement au XXIe siècle. Il s’agit de trouver la bonne équation entre le rôle politique et la position géographique du territoire. Sur ce point, Dijon aurait un atout de poids : « La métropole est le centre de gravité de la région Bourgogne-Franche-Comté ». Qualifié parfois à ses dépens de « bétonneur », Pierre Pribetich assume son engagement à maintenir la pression immobilière, contraint de jouer les cartes de la reconstruction sur l’existant face à un « territoire qui n’offre plus, comme à la fin des années 90, de grandes opportunités foncières ».

Le salut vient en partie du passé militaire de Dijon. L’ancienne ville de garnison, aujourd’hui délaissée par l’uniforme, a trouvé dans cette désertion de l’Armée matière à mettre au pas de nouveaux quartiers. Dès 2002, la Ville a eu l’intuition de racheter plusieurs sites militaires majeurs dans son histoire. Junot a permis de créer 635 logements, Heudelet (dont la caserne Marbotte est transformée en habitat) est devenu le siège de l’institution métropolitaine, sur les 11 hectares de l’hôpital militaire Hyacinthe Vincent ont poussé 634 logements.

Mais cela ne suffit pas. Dans l’absolu, « il faudrait plus de 20 000 logements supplémentaires à l’horizon 2030 pour la métropole, tout en évitant de trop monter en hauteur ». Restructurée par les 19 kilomètres du tracé du tramway, qui fêtera ses dix ans fin 2022, la cité dijonnaise s’est habillée de vert, personne ne le conteste. Elle a gagné de l’air aussi. Inscrite dans la démarche ZAN (Zéro Artificialisation Nette) du Plan Biodiversité, elle s’engage surtout à répondre au cahier des charges de la survie : densification urbaine, renouvellement urbain et renaturation des terres. La réhabilitation de l’ancienne usine Terrot (Terrot Town), sur 5 600 m2, dont on a préservé la façade, en est une belle illustration. D’autant que Dijon accueille une nouvelle usine qui fabrique non pas des motos mais les futurs génies de l’habitat : la prometteuse École spéciale d’architecture.

Une nouvelle mobilité

L’ambitieux programme passe donc par l’élévation maîtrisée des bâtiments. Comme toujours, le point d’équilibre est délicat. « Nous sommes face à une contradiction, celle de ne plus pouvoir s’étendre tout en ayant la volonté de maintenir l’habitat », résume Pierre Pribetich, qui doit composer entre les sirènes du développement économique, l’explosion prévisible de la population universitaire (5 000 étudiants en plus d’ici cinq ans), et une nouvelle façon d’envisager la mobilité. Les trottinettes et les vélos électriques en témoignent, Dijon doit être la ville des courtes distances.

Côté nouvelles technologies, la seconde réalisation d’Elithis, dans l’écoquartier Arsenal (110 logements, 1 200 m2 de bureaux et de commerces, un bilan énergétique positif), à quatre stations de la gare, démontre que l’écosystème local est bien dans le match énergétique.

Re-tour chez Eiffel

C’est alors que se dessine une vision différente de la ville. Le triangle qui relie la gare, la Cité de la gastronomie et l’église Saint-Michel englobe un secteur sauvegardé qui fait la fierté des Dijonnais. Un grand poumon vert le longera bientôt, améliorant considérablement une entrée sud qui est la porte d’entrée des Climats de Bourgogne inscrits au patrimoine de l’Unesco.

En vis-à-vis, un autre triangle partant de Clémenceau et intégrant l’Université de Bourgogne et son campus, sera son pendant vers l’est. Une cohérence qui sera elle aussi travaillée. Mais sur cette vision, Pierre Pribetich demeure discret. L’urbanisme est une compétition qui se gagne pierre après pierre.
Il ne ménage pas pour autant ses propos pour défendre l’attractivité de l’agglomération, son terrain de jeu quotidien depuis deux bonnes décennies : « Cette reconstruction de la ville recentre les choses, elle permet une qualité de vie exceptionnelle dans une région qui ne l’est pas moins, à un peu plus d’une heure et demie en TGV, les Parisiens en quête de bon air et de quiétude ont déjà commencé à le comprendre. »

En 2023, on commémorera les cent ans de la disparition de Gustave Eiffel. Ces mêmes Parisiens auront donc l’occasion d’en faire un pèlerinage, jusqu’aux sources de la ville qui inspira l’homme de la plus célèbre des tours. Ils ne seront pas totalement dépaysés.