La révolution agricole est en route. Christian Morel, vice-président de la Région Bourgogne-Franche-Comté, a rejoint Marie-Guite Dufay pour s’en assurer. Alors que le soleil vient se poser sur les couvertures photovoltaïques de son Gaec de la Vie de Fer, à Saône dans le Doubs, l’élu-agriculteur veut creuser le sillon d’un avenir meilleur.

Saône n’a aucun rapport avec la rivière éponyme. Ce bourg d’un peu plus de 3 000 âmes devrait son nom à « l’eau sacrée » (sag et onna en langue celte), pour désigner le va-et-vient de l’eau, qui apparait puis disparait mystérieusement dans les 800 hectares de marais de la commune.

Christian Morel est un enfant de Saône. Son clocher, il l’aime tellement qu’il ne l’a jamais quitté et s’est engagé dans l’équipe municipale. Il faut dire que l’église saônoise a connu autrefois un pensionnaire atypique. L’Abbé Robert Simon, en chaire (et en os) ici de 1944 à 1963, était surnommé l’abbé volant. Le saint homme se sentait pousser des ailes pour financer la restauration de son église et la construction de maisons de castors. Il effectuait pour cela de spectaculaires plongeons (110 au total) d’une hauteur de 33 mètres ! Avec la bénédiction de Dieu.

Nouveau modèle agricole

L’adjoint au maire de Saône a su au contraire garder les pieds non pas sur, mais dans sa terre. Cet agriculteur enraciné exploite avec ses deux associés, Romain et Caroline, le Gaec de la Vie de Fer, autre clin d’œil, paraît-il, à l’eau ferrugineuse. Le lait de 75 vaches laitières alimente à 90 % la filière Morbier, soit 500 000 litres qui partent chaque année vers la coopérative. Le dixième restant, selon une philosophie propre au Gaec, se transforme sur place et se vend à la boutique de la ferme. C’est l’affaire de la dynamique Caroline. On vous recommande particulièrement les yaourts aromatisés, pas forcément pour un régime minceur, mais pour leur douceur et leur goût savoureux. La crèche, l’école et les habitants du secteur s’en régalent.

Christian Morel connaît donc bien son sujet de prédilection, l’agriculture. Bientôt, après avoir cédé les parts à Quentin, l’unique salarié du Gaec, il en sera un retraité très actif. À sa grande surprise, Marie-Guite Dufay lui a en effet confié, il y a un an, au lendemain des élections régionales, la vice-présidence en charge de l’agriculture, la viticulture et l’agroalimentaire. Vaste programme aux ramifications tentaculaires.

Dans un propos fondateur, la présidente de la Bourgogne-Franche-Comté met l’accent sur la transition écologique et la transition sociale avec une juste rémunération du monde agricole. Car « relever ces deux défis implique alors de repenser le modèle agricole ». Le circuit court, sacralisé comme jamais dans le sillage du gros labour « coronavidien », est une arme brandie par Christian Morel : « Saône est un village péri-urbain (ndlr, à une dizaine de kilomètres de Besançon), je vois bien que notre boutique permet de créer du lien avec une population qui a du pouvoir d’achat mais est souvent totalement étrangère à notre monde. »

Mosaïque culturelle

Ce prosélytisme de la proximité, l’homme avait eu l’occasion de le défendre durant son précédent mandat de vice-président de la Chambre d’agriculture régionale Bourgogne-Franche-Comté. Il a donc pleinement conscience du grand écart qui caractérise le monde agricole, toujours « surpris par ces différences culturelles qui distinguent le Morvan des filières AOP ».

Difficile, en effet, de mettre en vis-à-vis une puissante filière du Comté « qui rémunère bien ses producteurs depuis une vingtaine d’années », ou encore le rayonnement planétaire et luxueux des vins de Bourgogne, avec des exploitations isolées, en proie à des problématiques très diverses, bien plus terre à terre. L’une d’elle est le bien-être animal. « On met en place un plan « abattour », avec l’implantation et la modernisation d’abattoirs territoriaux plus proches du consommateur », plaide Christian Morel. Et si la question de la viande halal, aussi récurrente que délicate, reste à trancher, on va vers une prise de conscience salutaire qui profitera, c’est une évidence, à l’alimentation. Quitte à briser certains tabous, tant « la filière viande a été construite par les maquignons, avec un rapport culturel à l’argent ».

Ce n’est pas par hasard si l’expression « ventres jaunes », attribuée aux Bressans, vient en réalité de ces pièces d’or que les marchands de bestiaux ceinturaient autour de leur ventre en revenant de la foire. Dans le Charolais ou dans la Nièvre, la culture du cadran est ancrée. Il faudra bien qu’elle s’adapte, d’une manière ou d’une autre, à la tendance forte et vraisemblablement incontournable d’une agriculture plus collective, pour ne pas dire coopérative. Le débat est profond. En attendant, paradoxalement, les deux grands départements producteurs de viande de la région Bourgogne-Franche-Comté, la Saône-et-Loire et la Nièvre, sont pauvres en abattoirs.