Après avoir bouleversé ses habitudes face à la crise, la Région Bourgogne-Franche-Comté rebat ses cartes et s’apprête à jouer un rôle nouveau dans l’économie et l’équilibre du territoire. Avec une signature propre à sa présidente : « donner plus à ceux qui ont moins. » Interview sans masque.

Que retenez-vous de ces deux années de débâcle économique ?

Nous avons vécu une période sidérante. Pris de court, nous avons été immédiatement confrontés au drame économique. Je n’ai pas découvert le monde économique à la lumière de cette crise, mais elle nous a conduits à aller plus loin dans la relation avec les communes et les intercommunalités. Traditionnellement, la puissance publique n’intervient pas dans le commerce. Mais très vite, au-delà des prêts sont apparues les questions des loyers et du numérique.

L’état d’urgence a forcé de nouveaux rapprochements territoriaux…

On a mis à disposition des « comcoms » (ndlr, communautés de communes), plus à même de sentir les besoins de leur écosystème, des moyens pour qu’elles travaillent avec les commerçants. Le rythme fut impressionnant. Grâce à la visioconférence qui changeait nos habitudes, une concertation avec les plus de 150 communautés de communes de Bourgogne-Franche-Comté a été conduite en trois jours. On a monté une politique de coopération comme jamais auparavant.

Cela a infléchi l’action de la Région. La question de la proximité avec les EPCI (Établissements publics de coopération intercommunale) est complètement posée. Désormais, on ne va pas faire la même chose qu’en période d’urgence, mais nous octroyons aux comcoms la possibilité de faire des actions, nous avons créé un maillage de proximité. Habituellement, la Région agit plutôt dans la macro-économie et les questions stratégiques d’avenir. De cette concertation, on verra ce qu’on en fera.

Et la transition énergétique dans tout ça ?

Avant la crise, je considérais déjà qu’il y avait urgence. Je ne suis pas encore sûre que dans leur esprit, nos concitoyens se rendent véritablement compte de cette urgence. On sent une sensibilité qui se développe, surtout chez les jeunes, mais de la sensibilité au passage à l’acte il y a un pas qui commence par réduire sa consommation d’énergie. Les questions écologique et énergétique sont transversales, elles concernent tout, même les entreprises. L’aide à la décarbonation devient donc prioritaire. Une entreprise qui va faire des économies d’énergie va se rendre compétitive car la charge de l’énergie va moins peser.

Ce qui impacte sur le comportement de la Région, non ?

C’est un levier important, appliqué à tous les domaines. Un des gros budgets de la Région, c’est la gestion des lycées, construits en dehors de toute norme d’efficacité énergétique à une certaine époque. Nous avons un engagement fort dans leur rénovation, en profitant par exemple des toits des établissements pour développer un plan solaire.

Mais la Région est-elle exemplaire dans ses propres bâtiments ?

Pas complètement, mais enfin, ça n’est pas nous qui avons construit ce bâtiment (sourires). L’exemplarité doit déjà porter sur les lycées, notre patrimoine à nous.

L’industrie demeure une de vos préoccupations, y compris sur le volet énergétique…

On va continuer à accompagner le développement économique, l’investissement pour l’emploi de demain. Je dis « on accompagne », car ce sont les entreprises qui créent de la richesse, pas nous. Pour qu’elles puissent investir, innover, se décarbonner, aller à l’international. J’ai une préoccupation majeure, l’industrie automobile et ses 70000 emplois chez nous. La Bourgogne- Franche-Comté est, avec les Hauts de France, le Grand Est et la Normandie, une des grandes régions automobiles de France. On va être totalement impactés par la rupture technologique que profile l’abandon du thermique.

Sur le plan automobile toujours, quelle est votre marge de manœuvre au niveau régional ?

L’Europe a imposé qu’en 2035, on en aura fini avec les moteurs thermiques. Les constructeurs y vont plein pot. Mais ils ne mettent pas forcément dans le coup leurs sous-traitants. Ces derniers ne savent pas comment ils vont faire dans les années qui viennent. Le secteur va être bouleversé. Le pôle de véhicules du futur, que nous accompagnons, a fait ainsi une cartographie des métiers de demain, liée à la nouvelle automobile, hybride, électrique voire hydrogène. Il y a dans le même temps des entreprises qui doivent aller chercher d’autres marchés. On les aide à se diversifier via des investissements. Telle est la consigne de notre plan : faire du sur-mesure, du cousu main, entreprise par entreprise.

Et l’hydrogène dans tout ça ?

Le marché européen est peu porteur pour des constructeurs qui ne raisonnent pas en termes de filières, contrairement à nous. Au bas de l’échelle, il y a le garagiste et le concessionnaire. Puis les sous-traitants de niveaux 1, 2 ou 3.  Puis l’équipementier. Cette chaîne n’est pas informée de ce que le constructeur va demander dans un an. Chaque fois que je vois le président de la République, je lui parle de l’industrie. De l’hydrogène notamment, qui est un atout majeur pour nous. Il m’a entendu semble-t-il. L’État devra nous aider sur ce domaine, faire entendre sa voix pour que les constructeurs jouent le jeu de leurs sous-traitants. Le moteur thermique s’arrête en principe dans une douzaine d’années, on est donc dans l’anticipation.

Passons des chevaux mécaniques à la vache. Vous vous dites inquiète pour le Charolais…

Mon autre préoccupation, c’est effectivement le Charolais, le secteur de la vache allaitante notamment. L’organisation y est individualiste, on voit bien le degré de pauvreté, le nombre de suicides que cela provoque. Je ne peux pas peser sur les marchés internationaux. En revanche, créer une marque régionale, qui aide les producteurs à valoriser leurs productions, à la vendre correctement, oui. Les agriculteurs doivent massifier leurs ventes, en direction des grandes et moyennes surfaces. Il y a matière à construire des circuits courts entre producteurs et une GMS raisonnée. « Juste & Local Bourgogne-Franche-Comté », si ce nom est retenu, garantira que le producteur est bien payé, qu’il n’a pas été écrasé dans la négociation avec la grande surface. On travaille aussi avec l’Inao sur ce sujet.

Du commerce équitable, en fait…

Oui. La notion de revenus assurés au producteur est la plus importante de toutes. Des distributeurs et des acteurs du secteur GMS sont déjà intéressés. Même si certaines filières bien installées ne voient pas d’un bon œil cette marque, par crainte, à tort, de la fausse concurrence. Nous en profiterons pour travailler la transition énergétique aussi dans les exploitations.

Comment trouver l’équilibre à l’échelle de la BFC ?

Notre région, belle et pleine de potentiels, a une grande disparité de revenus. Le Morvan, le Nivernais, le Tonnerrois, le Châtillonais méritent ainsi d’être soutenus. Ces territoires ont une attractivité non exploitée. J’ai fait voter un principe qui va guider nos politiques : la différenciation. Notre rôle est d’amener des financements pour créer des effets de levier. Mais nous donnerons plus à ceux qui ont moins. On ne diminuera pas les enveloppes allouées aux intercommunalités, mais à partir de critères précis, il y aura des bonus pour ceux qui ont moins. C’est notre positionnement anti-jacobin très assumé.