L’Organisation internationale de la Vigne et du Vin (OIV) installera son siège à Dijon en 2024 dans le cadre de son centenaire. Elle a confié à l’université de Bourgogne, via la Maison des Sciences de l’Homme, le traitement et la numérisation de ses archives pléthoriques, faisant d’elle un centre mondial de documentation viti-vinicole. Récit d’une véritable course de « fonds ».

Mardi 1er février 2022, au sein du Forum des Savoirs de la MSH de Dijon, du beau monde approuve noir sur blanc un contrat inédit. Vincent Thomas, le président de l’université de Bourgogne, reçoit le directeur général de l’OIV Pau Roca. Le directeur des lieux Jean Vigreux est là, tout comme la PDG de la Satt Sayens Catherine Guillemin, Denis Hameau côté Dijon Métropole et Jocelyne Perard, pour représenter la chaire Unesco « Culture et Traditions du Vin » et donner une résonance encore plus universelle à l’affaire. L’enjeu est tout simplement un patrimoine scientifique et historique exceptionnel : cent ans d’archives de l’Organisation internationale de la Vigne et du Vin, dont il faudra prendre soin et numériser dans le cadre d’un contrat de prestation de service d’une durée de 36 mois.

Interlocuteur crédible

« Cet accord renforce la reconnaissance de la plateforme Humanités Numériques de la MSH de Dijon et permet de valoriser la création d’un centre mondial de documentation viti-vinicole », lit-on alors. Dijon et son université ont, il est vrai, un terroir fertile. La chaire Unesco est la seule au monde consacrée à la chose vineuse. Le campus abrite l’IUVV (Institut Universitaire de la Vigne et du Vin) et mobilise un peu plus de 150 chercheurs sur ce seul périmètre, et la MSH est un centre adoubé par le CNRS (lire encadré), avec un pôle Archives-Documentation-Numérisation particulièrement reconnu. « Ce qui fait de l’uB, au-delà de sa géographie avantageuse que nous connaissons tous, un interlocuteur scientifique et pédagogique crédible. Notre université est pluridisciplinaire, reconnue pour son excellence, et ce partenariat va permettre des synergies profitables à toutes les parties, y compris à la métropole et au-delà », savoure a posteriori Vincent Thomas.

« L’ONU du vin », comme on l’appelle, n’a pas fait ce choix par hasard. En 2024, dans le cadre de son centenaire, il déménagera à l’hôtel Bouchu d’Esterno, rue Monge. L’essentiel de ses collaborateurs sera sur place dès cet été, tout près, dans des locaux provisoires de la Cité de la Gastronomie. 

Il y a quelques années, l’organisme avait déjà sollicité l’expertise de la MSH dijonnaise en lui confiant  sa collection complète de bulletins d’information (1927-2014), accessibles à tous depuis le portail PANDOR de la MSH. « La confiance s’est installée, chacun y a trouvé beaucoup de satisfaction. Cela permet aujourd’hui de s’aider l’un et l’autre autant que nécessaire, sur la base d’un contrat moral : avec Pau Roca, nous avons déjà évoqué la possibilité d’accompagner l’OIV dans la formation continue de son personnel. Réciproquement, cet organe mondial aura un rôle à jouer dans la promotion de carrières de nos jeunes diplômés et notamment de nos doctorants », détaille encore le président de l’uB, bien conscient qu’un employeur de ce calibre veut recruter des collaborateurs au plus haut niveau dans de nombreux domaines, allant du droit à la gestion administrative en passant par l’économie.

100 ans, 2 semis, 25 palettes

Jean Vigreux partage ce point de vue. Le gardien du temple dirige la MSH de Dijon depuis 2017 et aperçoit le bout de son mandat. L’historien de formation vit donc cette opportunité inédite dans un style jubilatoire bien à lui. Les chiffres ont effectivement de quoi faire vibrer un professionnel de la mémoire : 100 ans d’archives, c’est peu ou prou 6 000 ouvrages en 40 langues, pour 40 m3 de paperasse en tout genre. Le 31 janvier dernier, deux semi-remorques ont ainsi déposé 25 palettes, soit 180 cartons, aux pieds des experts dijonnais du pôle Archives-Documentation-Numérisation. 

La mission s’étale sur trois ans, mais le temps est déjà compté : « Nous sommes tenus fort logiquement par une obligation de résultats, et le Forum des Savoirs, où est entreposé tout ce stock, est à libérer en mai pour d’autres usages », sourit Jean Vigreux, ne manquant pas de souligner l’importance de la Satt Sayens dans ce « deal ». Ce spécialiste de la valorisation technologique, basé à la Maison Régionale de l’Innovation toute proche du campus, est une sorte de grand facilitateur, qui rapproche et transfère les résultats des chercheurs universitaires vers le monde de l’entreprise. L’organisme, qui rayonne sur tout le Grand Est, a aidé à flécher les bonnes personnes sur le dossier OIV. Il a monté le contrat de prestation et en suit la bonne exécution.

40 To de données

Les quatre personnes en charge de trier, inventorier, classer, numériser et autres verbes en « -er » se prénomment Yann, Camille, Marine et Rémi. Ils n’ont pas l’air abattus. « Ce volume de traitement, d’un seul tenant, est complètement nouveau pour nous. L’œil et le cerveau humain est encore le seul capable d’assumer l’étape fastidieuse du dépouillement, classement et cotation », disent en chœur les trois premiers. On veut bien les croire. À l’étage, dans l’intimité d’une petite pièce sombre, Rémi est en train de numériser des ouvrages hongrois. 

Ces « petites mains » ô combien déterminantes sont placées sous la responsabilité de leur chef de projet Hédi Maazaoui. Le responsable du service numérisation, un historique de la MSH, n’en perd pas une miette. Il nous fait visiter le cœur du système, à l’étage, où « ont été numérisées près d’1,4 million de pages, soit près de 40 téraoctets de données entreposées sur notre plateforme PANDOR… mais nous ne sommes pas Google non plus (sourires) ». À noter que dans l’affaire, l’OIV a participé à l’achat d’un scanner avalant 300 pages recto-verso à la minute, ainsi qu’un serveur de stockage supplémentaire de 80 To, « car nous produiront énormément de données spécifiques en peu de temps ». À la bonne heure.

Le Green Data Center

Mais d’ailleurs, chef, comment digérer et rendre intelligible toute cette matière ? « Nous faisons un prétraitement scientifique, pour extraire les informations essentielles des documents et aller au devant des attentes du public. » Le résultat vise généralement trois cibles et prend des formes différentes : outils d’aide à la décision pour les professionnels internationaux de la filière, données primaires pour la recherche scientifique, source d’informations inédites pour les amateurs et le grand public. À Dijon, on peut supposer que ces formidables « open datas » de l’OIV profiteront directement à l’IUVV, d’une façon ou d’une autre.

En cas de panne de courant, tout est prévu. Des onduleurs prennent le relais et, chaque soir, une sauvegarde automatique est effectuée dans le data center puis sur des bandes magnétiques séparées. Vincent Thomas en profite pour dire tout le bien qu’il pense du Green Data Center de l’uB, « garant de notre politique de sciences ouvertes et de l’indépendance du monde universitaire régional, avec le label de l’État. » Créé en 2015 en remplacement d’une chaufferie au charbon, il permet, via un système de récupération de la chaleur produite par les serveurs, de chauffer une (petite) partie de l’établissement. 100 tonnes de CO2 sont économisées grâce à lui chaque année. « Ce Green Data Center fait l’objet d’investissements permanents et un important projet d’extension est d’ailleurs en cours », conclut le président. Pour assumer cette course de « fonds », mieux vaut en effet avoir les meilleurs équipements.

La MSH, kesako ?
La Maison des Sciences de l’Homme (MSH) de Dijon est un centre de recherche à caractère fédératif créé en 2002, placé sous la tutelle de l’université de Bourgogne et du CNRS. Elle occupe un bâtiment dédié sur le campus depuis 2011 et structure des recherches pluridisciplinaires autour de thèmes fédérateurs, en associant les chercheurs et doctorants des différents laboratoires du campus dijonnais. Une trentaine d’agents titulaires et contractuels, hébergés sur projets, intervient au sein des plateformes et dans l’ingénierie de la recherche. La MSH est organisée en axes de recherche et propose aussi une plateforme Humanités Numériques qui regroupe 3 pôles (GeoBfc, ADN, PUDD : Archives documentations numérisation ; géomatique ; plateforme universitaire de données), ainsi que des services supports (gestion, RH, valorisation, communication, informatique). Son portail de publication PANDOR (Portail Archives Numériques et Données de la Recherche) valorise de riches ensembles documentaires et des travaux scientifiques menés à partir de ces fonds.