En six ans, son caractère novateur et parfois (très) décalé a su redonner un nouveau souffle à Alésia. Michel Rouger et son équipe ont redressé un MuséoParc qui voyait sa fréquentation baisser d’année en année. À 46 ans, il quitte Alésia en septembre avec le sentiment du devoir accompli. Le nouveau capitaine de la Cité de la Mer de Cherbourg dresse son bilan.

Vous avez pris les rênes du MuséoParc en 2016. Tombée de 140 000 visiteurs l’année de l’ouverture à 65 000 en 2017, vous êtes parvenu à inverser la courbe de fréquentation jusqu’à retrouver 80 000 personnes en 2019. Il y a quoi dans votre potion magique ?

Il n’y a pas de secret, il y a simplement une vision des choses. Et il faut s’y tenir. Chaque directeur en a une. Je pense que la mienne est la bonne évidemment (rires). Lorsque je suis arrivé, le MuséoParc battait de l’aile. Avec l’équipe, on s’est retroussé les manches et on a commencé par identifier notre public cible : les familles. Ça m’a conforté dans mon idée de proposer un parcours de visite qui convienne autant aux petits qu’aux grands, autant aux passionnés de l’époque gauloise qu’aux curieux. On a simplement lié la présentation classique des objets antiques à la médiation ludique et décalée. C’était osé, mais je crois que ça a fonctionné.

C’est surtout l’aspect ludique qui a transformé le parcours de visite…

Pour moi, le visiteur doit un peu lâcher prise lors de sa visite. Alors on a enlevé les autoguides qui empêchaient le visiteur de se créer son propre parcours de visite comme il le souhaite. En effet, le côté ludique est très important pour moi car cela permet au visiteur de devenir acteur de sa visite. C’est comme ça qu’il se crée des souvenirs. Le plus important n’est pas qu’on retienne tout sur l’histoire d’Alésia, mais avant tout de passer un bon moment et de susciter la curiosité. Le MuséoParc fait désormais appel à (presque) tous les sens : on peut regarder, toucher, écouter, grâce aux films explicatifs, au buste qui parle, aux jeux-vidéo… Il ne manque plus que l’odorat et le goût, mais heureusement il y a le restaurant pour cela (rires).

Rendre le lieu accessible à tous était aussi un objectif. Votre sextennat a-t-il suffi à satisfaire cette exigence ?

La question de l’accessibilité à tous tombe évidemment sous le sens. La culture n’est pas réservée à une certaine catégorie de personnes, et on avait beaucoup d’ambition sur ce sujet, déjà même avant mon arrivée. Et de ce point de vue aussi, on a réussi notre pari. On a développé l’audiodescription et les sous-titres sur les films, le braille, les images visio-tactiles… Il n’y a pas beaucoup de musées qui proposent ce genre de choses.

Vous avez en quelque sorte réinventé les manières de s’approprier l’histoire. Mais cela est-il suffisant pour donner envie aux gens d’apprendre et de se cultiver ?

Voilà une bataille que nous n’avons pas encore gagnée… Dans notre société, de gros préjugés persistent à faire croire que les musées sont ennuyeux, vieillots et rébarbatifs. Toutes les études du ministère prouvent d’ailleurs qu’on a le même public depuis 40 ans dans les musées français. On peut très bien se cacher derrière cette excuse et prendre cela pour acquis… Mais c’est aussi à ces lieux culturels de dédramatiser la venue au musée pour que les gens prennent plaisir à venir. Cela demande d’innover, d’inventer de nouvelles expériences de visite. L’histoire, l’art, la science, c’est sérieux. Mais on peut très bien apprendre et se cultiver tout en s’amusant. On est juste là pour donner des clés. Je crois en l’intelligence du visiteur.

Pour réconcilier le public avec la culture, ne faudrait-il pas revoir l’éducation à la culture dès le plus jeune âge ?

Absolument. Je suis persuadé qu’un gamin qui passe une bonne visite, c’est un futur adulte qui poussera la porte des musées plus tard. Évidemment, il y a encore du boulot pour faire bouger les lignes. Surtout dans de grandes institutions comme les Beaux-Arts. Mais regardez un lieu aussi mythique que la Philharmonie de Paris est en train de repenser son modèle en ce sens avec un lieu adapté aux plus jeunes enfants. Il y a tout plein de modules à manipuler mais pas le moindre instrument. Même les formes ne représentent pas des instruments, tout est dans l’imaginaire. On n’est pas sur un cours de solfège. C’est intéressant qu’un lieu aussi mythique soit aussi malin pour oser cela. Il suffit de tenter. Je préfère largement prendre des risques, quitte à échouer, que rester passif et regretter de ne pas avoir pris un train quand il le fallait.

Vous êtes un révolutionnaire dans l’âme !

Ce ne sont pas les qualités premières d’un directeur de musée habituellement (rires). Si on veut faire les choses bien, je pense qu’il faut tout reprendre de A à Z. C’est ça, le vrai changement. Et j’espère que dans 10, 15 ou 20 ans, il y aura des gens pour repenser toute la scénographie d’Alésia comme nous l’avons fait avec les équipes du Département de la Côte-d’Or.

Après six ans à la tête d’Alésia, vous prenez le commandement de la Cité de la Mer à Cherbourg en septembre. Ça ne vous fait pas peur de diriger un site qui accueille 200 000 visiteurs par an ?

Un cabinet de recrutement est venu me chercher, je ne m’y attendais pas du tout. Mais lorsqu’il y a une telle opportunité, il faut la saisir. Le train ne passera pas deux fois. Et prendre la suite du directeur qui a lui-même fondé ce lieu il y a 20 ans, c’est un honneur, une grosse preuve de confiance et un sacré défi au-delà de la grosse fréquentation du site. Il y a six ans, je n’aurais sans doute pas été prêt. Aujourd’hui, je le suis. Et j’ai une totale confiance en mon adjoint Thomas Pascal qui saura assurer l’intérim jusqu’à la fin de l’année, d’ici à ce que le Département trouve mon successeur.

Vous partez serein, donc !

Absolument. Serein pour Alésia qui a tout pour réussir. Et serein aussi pour ce beau challenge qui s’offre à moi. Lorsque je suis arrivé en Côte-d’Or, je n’y connaissais pas grand-chose aux Gaulois et à la bataille d’Alésia. Cela ne m’a pas empêché d’apprendre et d’accomplir de belles choses sur ce site. Je ne suis pas un spécialiste de la mer non plus, mais je prends énormément de plaisir à découvrir de nouveaux univers et j’ai hâte de plonger dans le grand bain !