Il est loin le temps des peaux de lapin ramassées par l’arrière-grand-père Etienne. Trois générations plus tard, les Sécula sont des entrepreneurs aguerris, qui investissent beaucoup et, à leur façon, sauvent la planète de ses déchets. Retour sur une étonnante saga familiale inspirée par le principe de Lavoisier : rien ne se perd, tout se transforme.

Certaines histoires vraies ressemblent à des légendes. La famille Sécula, trois générations avant celle de Geoffroy et de son jeune frère Guillaume, était bien loin de l’élite industrielle. Etienne, l’arrière-grand-père, chinait les peaux de lapins avec sa charrette. Comme beaucoup d’habitants de l’ancien camp américain de Beaune, qui, à lui seul, mériterait sa fresque cinématographique… Mais les peaux de lapin ont progressivement laissé place à la ferraille et au carton. Et les chineurs d’hier se sont transformés en prestataires à forte valeur ajoutée, pour débarrasser les entreprises de leurs déchets. Dans les années 80, Georges Sécula, fils d’Etienne, surfe sur la nécessaire réutilisation de ces matières et matériaux abandonnés par le premier circuit de production.

La Côte-d’Or a du potentiel. C’est l’acte de naissance annoncé de Bourgogne Recyclage, qui dit tout dans son nom. La génération suivante des Sécula le sent bien : Pascal s’organise pour répondre globalement à la demande et investir ailleurs. Jura Recyclage voit le jour à son tour. Geoffroy se souvient de ses débuts dans l’entreprise familiale : « J’arrive en 2008, avec un directeur général proche de la retraite, qui favorisera la transmission. J’avais déjà payé ma mobylette en travaillant ici, pareil pour ma voiture, j’ai même passé mon permis poids lourd, mon père voulait qu’on apprenne par pallier. »

La passion pour son métier est inaltérable. Engagé parmi et au côté des chefs d’entreprise, l’actuel président de la CPME de Côte-d’Or mène de front une stratégie pugnace de développement de son groupe. Surtout depuis que Guillaume l’a rejoint, avec son profil de gestionnaire de haut niveau. La complicité entre les deux ne trompe pas.
« Ce métier nous permet de commercer avec tout le monde, en costume-cravate ou pas, avec tout type d’entreprise et dans tout type d’activité », résume le recycleur, obligé « de rester en veille technologique permanente et d’investir au bon moment, dans la perspective de recycler au maximum ». La phrase résume le défi : être bon ne suffit pas, il faut être bon avant l’heure, anticiper.

De Bourgogne Recyclage à E3R

Aujourd’hui, la PME a son siège à Ruffey-lès-Beaune. 9 sites d’intervention sont répartis sur 3 régions et 14 départements, avec pas moins de 300 collaborateurs. Soit 60 millions d’euros de CA, 500 000 tonnes de déchets traités, « dont 90% sont valorisés ». Une taille parfaite pour la proximité mais en même temps insuffisante pour se frotter à armes égales aux poids lourds du secteur.

Pour s’extraire d’une connotation trop « territorialisée », l’entreprise beaunoise s’est donc rebaptisée E3R, tout en laissant visuellement apparaître (le fameux deuxième niveau de lecture), le « BR » de Bourgogne Recyclage sur son logo. Car E3R ne renie rien de ses origines. Pour ne pas perdre pied dans un marché concurrentiel, elle a intégré très activement le réseau Praxy. Ce dernier regroupe 21 entreprises indépendantes et régionales spécialisées dans le recyclage. Praxy chasse les gros appels d’offres, « absorbe » certains de ses confrères et gère désormais pas loin de six fois le volume d’E3R. « Ce regroupement a permis, par exemple, de reprendre le broyeur de Dijon, ce que nous n’aurions pas pu faire seul », constate Geoffroy Sécula.

« Rien ne se perd, tout se transforme ! » Le principe de Lavoisier est celui des Sécula avec E3R. © Christophe Remondière

Balle de poids

Passionnant du seul point de vue entrepreneurial, le secteur du recyclage l’est aussi dans son cœur de métier. Il doit être exemplaire et inventif. « Nous avons une centaine de camions dans notre parc, nous avons donc créé un poste à temps plein pour aider les chauffeurs à pratiquer l’éco-conduite. Cela a été aussitôt rentable », explique fièrement le patron de E3R.

Ici, on pompe, on nettoie, on démolit, on découpe le métal, on débarrasse, on reste discret, on broie des végétaux et du bois, du plastique aussi, on invente toute sorte de dispositif pour que la moindre des ordures devienne utile à la société. Une marge de manœuvre que l’on rêve d’appliquer à la justice… Mais là n’est pas le sujet. L’économie circulaire est au cœur de l’évolution des métiers du recyclage. Savez-vous que pour compresser façon César une balle qui tient dans une pelle mécanique (soit 1m3), il faut 1,2 tonne de cartons qui remplissent la remorque d’un camion (soit 30 m3) ? Le recycleur doit aussi prendre la cisaille quand la ferraille est épaisse, trier et évacuer dans les filières, fournir du prêt à l’emploi pour les recycleurs de bouteilles PET ou les panneautiers.

« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ! » Le principe de Lavoisier est celui de Ruffey-lès-Beaune. L’usine de Dijon, par exemple, est dédiée à la valorisation énergétique. Notre société se préoccupe de son bien-être, de sa santé, de son environnement… mais rarement directement de ses déchets. Bourgogne Recyclage puis E3R, comme ses consœurs, sont là pour combler le trou d’une attente forte, sans creuser celui de l’enfouissement. Etienne aurait sans doute vendu chèrement ses peaux pour en arriver jusque-là. —