Catherine Petitjean, ici avec ses victuailles épicées devant une de ses magnifiques étagères en bois, a fait de son site de production un lieu gourmand et culturel

Catherine Petitjean, ici avec ses victuailles épicées devant une de ses magnifiques étagères en bois, a fait de son site de production un lieu gourmand et culturel

Par Alexis Cappellaro – Photos : Christophe Remondière

Dijon, capitale du pain d’épices. Tellement évident pour Catherine Petitjean qu’elle a créé sur son site de production, boulevard de l’Ouest, un espace muséographique dédié à la maison Mulot & Petitjean. Une institution depuis 1796 dont elle est, en toute « nonnetteté », la gardienne du temple.

De ses souvenirs d’enfance, elle gardera toujours « cette odeur envoûtante au moment de rentrer dans la fabrique paternelle ». Plutôt du genre à intérioriser, Catherine Petitjean a l’œil qui brille et le sourire attendri à l’évocation de l’entreprise familiale. Sans doute encore plus depuis la création, en juin 2017, d’un espace muséographique sur le site de production du 6 boulevard de l’Ouest, là où ses délicieux « pains de santé » sortent du four depuis 1912.

Épices and love

Une lubie pour se donner un genre ? Tout faux. Chez Mulot et Petitjean, « on n’a pas à s’inventer une histoire : on l’a ! », pose en préambule l’inspirée créatrice. Il faut plutôt voir cet espace comme un supplément d’âme, en même temps qu’un hommage aux pères fondateurs d’une fascinante maison. « Clients comme touristes ont toujours été très curieux, il y a quelque chose de véritablement passionnant à plonger dans cette histoire de famille », insiste Catherine.

Le point de départ de la saga « épices and love » était donc tout trouvé : une conversation entre elle et ses aïeux Auguste Petitjean, Louis Mulot et Barnabé Boittier, « avec une reconstitution fidèle du mobilier de l’époque ». La scénographie de l’expert lyonnais Philippe Pupier rend l’histoire encore plus belle. Elle donne des clés de lecture au visiteur qui ignorerait que dans les années 1900, Dijon comptait une douzaine de fabricants de ces divins pains bruns, soit plus de 300 emplois concernés.

Nonnette superstar

Quand elle a repris le flambeau en 1998, l’entreprise était le dernier fabricant à Dijon.  Avec « une forme d’insouciance et un goût du risque calculé » qui lui sont propres, elle a donné une nouvelle dimension à l’entreprise. D’abord en agrandissant le site de production en 2003, ensuite en propulsant la nonnette au rang de superstar (une ligne automatisée a décuplé la production), enfin en surfant sur les tendances gastronomiques sous la bienveillance et le talent des chefs de la maison Loiseau, qui ont magnifié ce met autrefois tombé en désuétude.

Au plus haut de sa forme, Mulot & Petitjean produit plus de 500 tonnes de pains d’épices chaque année. Pour se donner les moyens de ses ambitions, il a fallu pousser les murs. Partir ou rester ? La question s’est posée. Catherine Petitjean a préféré sacraliser le site dijonnais en construisant une extension de 1000 m² et en dediant 400m² au musée. « Un choix qui a beaucoup de sens ; je crois à ce projet depuis le début », explique celle qui a conservé méticuleusement chaque objet (« si vous saviez tout ce qu’il y avait ! ») et découvert quelques trésors dans le lot. Fière d’exhumer ces moules pittoresques et ces machines d’un autre temps parfaitement conservées, elle a aussi souhaité valoriser ceux qui « font » Mulot & Petitjean au quotidien. En vidéo, un employé fait la démonstration de sa tâche quotidienne, en prenant soin de conserver quelques secrets de famille. L’occasion de voir l’impact des nouvelles technologies et, plus surprenant, « la présence importante du travail à la main dans le processus de production ».

Pour autant, les temps ont changé. « Avant, on fumait dans l’atelier ! », sourit la maitresse de maison en dévoilant sur ses murs une superbe photo d’avant-guerre. Et de détailler avec une certaine tendresse la fabrication des glacé minces, ces languettes recouvertes de glace royale. Le lundi, pendant que les hommes préparaient les pâtes mères, les femmes s’installaient sur une immense ligne pour les peindre une par une avant de les passer au four.

Dans l'espace "Quai" (il s'agissait auparavant d'un quai de déchargement), la dirigeante de Mulot & Petitjean a voulu mettre en avant les produits phare de l'étape de fabrication et quelques instruments. Relié à une chaudière vapeur, ce grand chaudron de cuivre servait à tempérer le miel et le sucre.

Dans l’espace « Quai » (il s’agissait auparavant d’un quai de déchargement), la dirigeante de Mulot & Petitjean a voulu mettre en avant les produits phare de l’étape de fabrication et quelques instruments. Relié à une chaudière vapeur, ce grand chaudron de cuivre servait à tempérer le miel et le sucre.

Le meilleur pour la faim

Au bout du chemin muséographique, Catherine Petitjean réserve le meilleur pour la faim : une boutique superbement boisée, avec un espace dégustation. L’expérience vaut la peine d’être vécue. « Ce projet structurant permettra d’asseoir un peu plus Mulot & Petitjean dans le patrimoine gourmand et culturel de notre ville », explique notre hôte qui, le jour du reportage, fêtait justement ses trente ans dans l’entreprise. « Et pas question de s’arrêter pour le moment ! »

Lucide, elle n’oublie pas qu’il y aura forcément « un après » et qu’il faudra passer ce lourd et merveilleux héritage, solidifié par un musée inauguré en présence de nombreuses personnes. Tout le monde lui pose la question, elle fait toujours la même réponse pudique, du bout des lèvres : rien n’oblige ses quatre filles (l’une est employée ici) à prendre la suite. On sent que Catherine Petitjean apprécierait, quand même. En tout cas, elle n’a aucun doute sur une chose : de l’entreprise familiale, ses quatre protégées garderont toujours le souvenir de cette odeur envoûtante. C’est déjà beaucoup.